Dans le quartier de Carrefour-Feuilles, la vie est devenue insupportable sous le joug des gangs. Jeudi 17 août 2023, Le Nouvelliste a constaté que plusieurs dizaines de familles ont trouvé refuge dans la cour du gymnase Vincent, à quelques kilomètres seulement du palais national. Chacun de ces résidents a une histoire poignante à raconter, mais tous partagent une chose en commun : ils ont fui la terreur des gangs qui règnent en maîtres.
Il est 11 heures au gymnase Vincent, et chaque personne essaie tant bien que mal de s’accrocher à la vie et de trouver un peu de réconfort. Certaines dorment encore sous les tribunes, tandis que d’autres se retrouvent pour échanger les dernières rumeurs sur leur quartier. Pendant ce temps, les enfants jouent, insouciants face à la réalité troublante qui les entoure. Des linges, des vêtements et des morceaux de carton jonchent le sol, rappelant tristement les camps de réfugiés qui ont suivi le séisme dévastateur de 2010. La nuit précédente a été agitée, une pluie torrentielle s’est abattue sur Port-au-Prince, ajoutant à la détresse des réfugiés.
Marc-Arthur fait partie de ces personnes contraintes de fuir Carrefour-Feuilles. Ce matin-là, il porte un maillot bleu marine avec des barres bleues et un pantalon du même ton. Depuis la nuit fatidique du dimanche 13 août, ce sont les seuls vêtements qu’il a sur lui, confie-t-il au journal. « J’habitais une maison de fortune à Savane-Pistache. Lorsque les tirs ont commencé, je n’étais pas là. Mais plus tard dans l’après-midi, lorsque les tirs se sont calmés, je suis revenu récupérer quelques affaires et c’est à ce moment que les bandits m’ont repérés. Ils m’ont volé mes maigres économies et m’ont laissé partir », raconte-t-il tristesse avec.
Aujourd’hui, Marc-Arthur se trouve avec sa mère sexagénaire et son grand-frère atteint de déficience mentale, cherchant refuge au gymnase Vincent sans savoir qui se tourner pour obtenir de l’aide. Il lance un appel aux autorités pour qu’elles viennent au secours des réfugiés et mobilisent leurs troupes afin de déloger les bandits qui imposent leur volonté à Carrefour-Feuilles.
La vie au gymnase n’est peut-être pas idéale. Un autre réfugié, souhaitant rester anonyme, révèle qu’après les fortes pluies de la veille, les responsables de la Direction de la protection civile (DPC) ont permis aux réfugiés d’occuper temporairement l’intérieur du gymnase, mais leur ont demandé de Regagner la cour le lendemain matin. « Il n’y a pas d’infrastructures adéquates pour nous accueillir ici », confie-t-il. « Ce n’est qu’aujourd’hui que nous avons reçu de l’eau, et il n’y a pas d’espace pour se laver. Les installations sanitaires ne fonctionnent pas correctement, mais nous faisons de notre mieux pour les fonctionner », rapporte-t-il.
D’autres réfugiés ont également partagé leurs témoignages au Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). Dominique, âgée de 33 ans, a vu son témoignage devenir viral sur les réseaux sociaux. Ancienne résidente de la rue Monseigneur Guilloux prolongée, elle affirme avoir perdu sept de ses proches, dont cinq membres de sa famille à Savane-Pistache. « Ma famille vivait dans un refuge à Savane-Pistache, tandis que moi et mon mari habitions une autre maison un peu plus bas », raconte-t-elle avec tristesse. « Quand les tirs ont commencé, j’ai pris mes deux derniers enfants et je me suis enfuie. Malheureusement, mes proches ont pensé que les tirs allaient cesser et n’ont pas cherché à quitter la zone. Ils n’ont pas survécu à l’attaque », ajoute-t-elle en larmes.
Les traumatismes et les pertes sont profondes pour ces réfugiés qui ont fui leur domicile avec seulement les vêtements qu’ils avaient sur le dos. Certains ont également perdu leurs papiers d’identité, incendiés par les bandits qui ont attaqué leurs maisons.
Au gymnase Vincent, des équipes de la Direction de la protection civile (DPC) sont présentes pour apporter leur soutien à la population et planifier les aides à venir. Selon Jean-Charles Lafortune, superviseur général de la DPC, l’institution travaille en collaboration avec la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA) pour fournir l’eau aux réfugiés. De plus, grâce à la délégation de la mairie de Port-au-Prince, des repas chauds sont offerts automatiquement aux réfugiés.
Selon les chiffres communiqués par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), environ 1 020 ménages comptant 4 972 personnes se sont déplacées de Carrefour-Feuilles entre le 12 et le 15 août. D’autres centres ont également accueilli des réfugiés, selon des données partielles du RNDDH, qui font état d’au moins 20 morts au cours des assauts criminels.
La situation reste préoccupante pour ces résidents de Carrefour-Feuilles qui ont dû quitter leur foyer dans des circonstances tragiques. Les appels à l’aide se multiplient, dans l’espoir que les autorités prennent les mesures nécessaires pour mettre fin à la terreur des gangs et offrir un soutien adéquat aux réfugiés en détresse.